De Roland Topor. Adapté au cinéma par Roman Polanski sous le titre de « Le Locataire« .
L’APPARTEMENT
Trelkovsky allait être jeté à la rue lorsque son ami Simon lui parla d’un appartement libre rue des Pyrénées. Il s’y rendit. La concierge, revêche, refusa de lui faire visiter les lieux, pourtant un billet de mille la fit changer d’avis.
— Suivez-moi, dit-elle alors, mais sans quitter son air grognon.
Trelkovsky était un jeune homme d’une trentaine d’années, honnête, poli, qui détestait par-dessus tout les histoires. Il gagnait modestement sa vie, aussi la perte de son logement constituait-elle une catastrophe car son salaire ne lui permettait pas les fastes de la vie d’hôtel. Il possédait cependant à la Caisse d’Épargne quelques économies sur lesquelles il comptait pour payer la reprise, si elle n’était pas trop élevée.
L’appartement se composait de deux pièces obscures sans cuisine. Une seule fenêtre dans la pièce du fond donnait sur un mur percé d’un vasistas situé exactement en face d’elle. Trelkovsky comprit qu’il s’agissait du vasistas des W.C. de l’immeuble d’à côté. Les murs avaient été recouverts d’un papier peint jaunâtre sur lequel s’étalaient par endroits de larges taches d’humidité. Le plafond apparaissait fendu sur toute son étendue de lignes qui se ramifiaient comme les nervures d’une feuille. De petits morceaux de plâtre qui s’en étaient détachés craquaient sous les chaussures. Dans la chambre sans fenêtre, une cheminée de faux-marbre encadrait un appareil de chauffage au gaz.
— La locataire qui habitait ici s’est jetée par la fenêtre, expliqua la concierge devenue subitement plus aimable. Tenez, on peut voir l’endroit où elle est tombée.
Elle emmena Trelkovsky à travers un dédale de meubles divers jusqu’à la fenêtre, et lui désigna triomphalement les débris d’une verrière qui se trouvaient trois étages plus bas.
— Elle n’est pas morte, mais elle ne vaut guère mieux. Elle est à l’hôpital Saint-Antoine.
— Et si elle se rétablissait ?
— Il n’y a pas de danger, ricana l’odieuse femme. Ne vous en faites pas !
Elle lui fit un clin d’œil.
— C’est une affaire.
— Quelles sont les conditions ?
— Raisonnables. Il y a juste une petite reprise pour l’eau. Toute l’installation est neuve. Avant il fallait aller sur le palier pour avoir de l’eau courante. C’est le propriétaire qui a fait faire les travaux.
— Et les W.C. ?
— Juste en face. Vous descendez et prenez l’escalier B. De là-bas vous pouvez voir l’appartement. Et inversement.
Elle fit un clin d’œil obscène.
— C’est un paysage qui vaut le coup d’œil !
Trelkovsky n’était pas enchanté. Mais tel qu’il était, l’appartement constituait quand même une aubaine.
— Elle est de combien la reprise ?
— Cinq cent mille. Le loyer est de quinze mille francs par mois.
— C’est cher. Je ne pourrais mettre que quatre cent mille.
— Ce n’est pas moi que ça regarde. Arrangez-vous avec le propriétaire.
Encore un clin d’œil.
— Allez le voir. Ce n’est pas loin puisqu’il habite à l’étage en dessous. Bon, je m’en vais. C’est une occasion à saisir, ne l’oubliez pas.
Trelkovsky l’accompagna jusque devant la porte du propriétaire. Il sonna. Une vieille femme au visage méfiant vint lui ouvrir.
— On ne donne rien aux aveugles, jeta-t-elle très vite.
— C’est pour l’appartement…
Une lueur rusée passa dans ses yeux.
— Quel appartement ?
— Celui de l’étage au-dessus. Est-ce que je peux voir Monsieur Zy ?
La vieille laissa Trelkovsky devant la porte. Il entendit chuchoter, puis elle revint lui dire que Monsieur Zy allait le recevoir. Elle le conduisit dans la salle à manger où Monsieur Zy se trouvait attablé. Il était en train de se curer méticuleusement les dents. Du doigt, il montra qu’il était occupé. Il farfouilla dans sa molaire et en sortit un lambeau de viande piqué au bout d’une allumette aiguisée. Il l’examina attentivement, puis le ravala. Alors seulement, il se tourna vers Trelkovsky.
— Vous avez vu l’appartement ?